Dans certains cas, l’art est un moyen de subsistance. Il aborde parfois la guérison ou les blessures; il peut être ludique, ou concerner les efforts nécessaires à sa propre création. Il y a de l’art sur le désir, la politique, le désespoir, l’héritage, les reptiles mythiques. En 15 ans et cinq albums solo, le musicien torontois Owen Pallett a créé de l’art qui correspond à toutes ces choses — de la musique qui brille, qui galope, qui frémit, qui jouit. Travaillant seul ou avec certains des plus grands noms de la musique populaire, il a inscrit son nom dans le son du début de ce siècle, tel un message caché dans les ourlets.
Island, le plus récent album de Pallett, commence avec 13 accords sombres. C’est le son d’un éveil, seul, sur un nouveau rivage. Ce qui suit est scintillant et luxuriant : un album orchestral qui puise dans toute l’étendue de la discographie de Pallett, du splendide Technicolor de Heartland à l’étincelante guitare grattée à la main qui caractérisait les premiers disques de Pallett avec Les Mouches. Presque entièrement acoustique, Island fait appel au plus grand ensemble de la carrière solo de Pallett, le monumental Orchestre contemporain de Londres, qui a été enregistré aux studios Abbey Road. Or, le disque présente aussi la version la plus épurée et souvent sobre du musicien, mettant en valeur les mots qu’il chante et la façon dont il les chante.
Pour la première fois, Pallett a créé un album sans se soucier de la façon qu’il pourrait être joué sur scène. Ce ne fut pas une transition évidente, car Pallett a initialement fait sa réputation en grande partie grâce à sa virtuosité scénique, jouant du violon pour des groupes tels que Arcade Fire et Hidden Cameras, puis émergeant en tant qu’artiste solo maniant le solo et les pédales de loop sous le nom Final Fantasy. Sa deuxième parution, He Poos Clouds (2006), a remporté le tout premier Prix de musique Polaris, et bien que le violon se soit progressivement éloigné du cœur de sa musique, cet instrument (et la question des performances scéniques en général) n’a jamais cessé d’être une préoccupation.
Du moins, jusqu’à maintenant. Pallett a composé les neuf chansons d’Island sur une bonne vieille guitare acoustique. Plus tard, il a imaginé ces pièces en tant qu’un album orchestral immersif de 80 minutes. Le résultat final se positionne quelque part entre les deux : une distillation de 46 minutes d’un processus d’enregistrement instinctif s’apparentant à un tourbillon, avec une série de brèves sessions intenses s’étendant sur des années.
La fascination de Pallett pour la forme et son appétit pour l’expérimentation ont guidé toute son œuvre. Là où Has A Good Home (2005) était un disque de pop de chambre avenante, son album paru l’année suivante, He Poos Clouds, était un album concept inspiré de Donjons et Dragons, enregistré avec un quatuor à cordes (bien sûr!). Après un EP avec Beirut et une collection de reprises d’Alex Lukashevsky, Pallett a commencé à lancer de la musique sous son propre nom, avec d’abord Heartland (2010). C’était le début de la saga de Lewis : l’histoire d’un beau, mais violent fermier luttant avec un dieu — la déité Owen.
Sur In Conflict (2014), Pallett a pris une direction différente. Plutôt que de submerger ses thèmes dans un monde fantaisiste, il a tenté d’écrire en tant que lui-même, adoptant une approche autobiographique. « Ironiquement », dit-il maintenant, « ces chansons semblaient moins sincères. » Avec Island, l’auteur-compositeur retrouve Lewis – seul sur la rive d’une contrée étrange, s’abandonnant à ses instincts les plus autodestructeurs. Éventuellement, l’ancien fermier découvre un secret à propos de son identité, mais pas avant qu’Owen l’ait littéralement baisé jusque dans l’espace. Le disque a révélé son entière force philharmonique, alors que le piano et la guitare émergeaient, accompagnés d’un orchestre en guerre contre lui-même, suspendu dans les ténèbres.
« Je ne sais pas ce qui va arriver ensuite », avertit Pallett. Mais cela a toujours été sa nature en tant que musicien qui s’interroge sur le positionnement potentiel de la voix d’un artiste, puis qui transforme cette interrogation en sujet de chanson. Il fait ceci avec des paroles drôles et saisissantes, d’une grâce trompeuse; elles brillent comme des pièces d’or. On y retrouve des allusions à des grimoires secrets, à des questions sociopolitiques contemporaines, à Flann O’Brien et à The Legend of Zelda, ainsi des arrangements extraordinaires, imaginés entièrement par Pallett, un don qui fait de lui un collaborateur très prisé.
En plus de son travail avec Arcade Fire, qui a été récompensé aux prix Grammy, Pallett a récemment fait des arrangements de cordes, de cuivres et d’orchestre pour Frank Ocean, Caribou, The Last Shadow Puppets, The National, Christine and the Queens, R.E.M., Linkin Park, Sigur Rós, Taylor Swift, et Pet Shop Boys. Depuis le lancement de In Conflict il y a six ans, il a composé la musique de deux séries télévisées et de sept films, obtenant une nomination aux Oscars pour son travail sur Her de Spike Jonze, ainsi qu’un Emmy pour Fourteen Actors Acting de Sølve Sundsbø. Plus récemment, il a réalisé In League With Dragons, l’acclamé 17e album des Mountain Goats.
Néanmoins, ce n’est pas à quel point il travaille fort qui définit la démarche artistique de Pallett. C’est une qualité encore plus rare : la vision, une façon de voir les choses plus clairement. Possiblement même une forme de clairvoyance. Pallett donne naissance à des mondes entiers, constitués de sons et d’images que seul lui pouvait imaginer, et que l’auditeur peut désormais voir, comme si un portail s’était ouvert. Le secret, de toute évidence, est qu’il ne s’agit pas simplement de jolies illusions : ce sont des chansons sur le fait d’être vivant, en se demandant pourquoi on l’est, considérant toutes les horreurs de l’existence. Elles n’offrent pas de réponse. « I grab the hem and lift the fabric over my sweet head » [« Je prends l’étoffe et je la mets par-dessus ma douce tête »], chantait Owen il y a une dizaine d’années. « I know what you’re looking for and I’m never gonna give it to you. » [« Je sais ce que vous recherchez, mais je ne vous le donnerai jamais. »]
Owen Pallett's biography
Some art is about sustenance. Some of it is about healing, or harm; some is about play and some about its own labour. There is art about wishing, and politics, and despair, and inheritance, and enchanted basilisks. Across 15 years and five solo albums, the Toronto musician Owen Pallett has made art that is each of these things – music that shines, gallops, shudders, climaxes. Working alone and with some of the biggest names in popular music, he has sewn his name into the early sound of this century, a message hidden at its hem.
Island, Pallett’s latest, begins with 13 darkened chords. It is the sound of waking up – alone, on a new shore. What comes next is shimmering and luscious: an orchestral album that draws across the full breadth of Pallett’s discography, from Heartland’s splendid technicolour to the glittering, fingerpicked guitar that marked Pallett’s first records with Les Mouches. Almost entirely acoustic, Island deploys the grandest ensemble of Pallett’s solo career – the monumental London Contemporary Orchestra, recorded live at Abbey Road Studios – and yet it also presents the musician at his most distilled, often unadorned, just the words he’s singing and the way he sings them.
For the first time, Pallett created an album without brooding over the way it might be performed on stage. This was not an easy revelation: much of Pallett’s initial reputation was founded on his live virtuosity, playing violin for groups including Arcade Fire and the Hidden Cameras, and then emerging as a one-man fiddle and loop-pedal act, under the name Final Fantasy. His sophomore release, 2006’s He Poos Clouds, was awarded the inaugural Polaris Music Prize – and although the violin has steadily receded from the centre of his music, it (and the riddle of live performance generally) never stopped being a preoccupation.
That is, until now. Pallett wrote Island’s nine songs on old-fashioned acoustic guitar. Later, he imagined these tracks as an immersive, 80-minute orchestral album. The finished result is somewhere uniquely in-between – the 46-minute fruit of an instinctive, whirlwind recording process, completed over years but in short, concentrated bursts.
Pallett’s curiosity about form – and his appetite for experiment – has guided his entire recording project. Whereas, 2005’s Has A Good Home was a collection of comely bedroom pop, the 2006 follow-up, He Poos Clouds, is a dark Dungeons & Dragons concept album, recorded with a string quartet (naturally!). After an EP with Beirut and a collection of Alex Lukashevsky covers, Pallett began releasing music under his own name, making 2010’s Heartland. This was the beginning of his Lewis saga: the story of a beautiful, violent farmer and his struggle with a god – the deity Owen.
In Conflict, from 2014, saw Pallett take a different tack: instead of submerging his themes in a fantasy world, he tried to write as himself, drawing from autobiography. “Ironically,” he says now, “those songs felt less truthful.” With Island, the songwriter returns to Lewis – alone on the shore of a strange land, yielding to his most self-destructive compulsions. Eventually, the erstwhile farmer discovers a secret about his identity – but not before Owen has literally fucked him into space. By now the record has revealed itself in full philharmonic force – surfacing through piano and guitar, an orchestra at war with itself, suspended in darkness.
“I don’t know what’s happening next, guys,” Pallett warns. But that’s been his arc as a songwriter: grappling with the positions in which an artist voice can be placed, then letting that grappling become a topic of the songs. He does this with startling, funny lyrics, of deceptive grace; they glint like gold coins. Allusions to secret grimoires and modern-day socio-politics, Flann O’Brien and The Legend of Zelda, and then the extraordinary arrangements, imagined from whole cloth, that have made Pallett such a prized collaborator.
In addition to his Grammy-award-winning work with Arcade Fire, Pallett’s recent commissions have included string, brass and orchestral arrangements for Frank Ocean, Caribou, the Last Shadow Puppets, the National, Christine and the Queens, R.E.M., Linkin Park, Sigur Rós, Taylor Swift, and the Pet Shop Boys. Since the release of In Conflict, six years ago, he has scored two television series and seven films, garnering an Oscar nomination for his work on Spike Jonze’s Her and an Emmy for Sølve Sundsbø’s Fourteen Actors Acting. Most recently, he produced In League With Dragons – the acclaimed 17th album by the Mountain Goats.
And still, the heart of Pallett’s artistry is not how hard he works. It’s a rarer quality: vision, a clearer kind of seeing. Maybe what the French call clairvoyance. Pallett calls whole worlds into being, sounds and vistas that only he could see – and which glimmer now, before the listener, as if a portal’s been opened. The trick, of course, is that these aren’t just fancies, pretty illusions: they’re songs about being alive, asking why, and all the most hideous stuff of life. They don’t divulge the answers. “I grab the hem and lift the fabric over my sweet head,” Owen sang once, years ago. “I know what you’re looking for and I’m never gonna give it to you.”