Biographie de Lucien Francoeur

Lucien Francoeur, poète, enregistre des disques, comme Leonard Cohen, Jim Morrison, Jim Carroll, Peter Hammill, Peter Sinfield ou, plus près, Raôul Duguay et Claude Péloquin... Mais Francoeur, on le sait, c’est Aut’Chose, autre chose parce que c’est du rock durable pré-rap, pré-punk et pré-heavy-métal, en québécois pure laine, basé sur de la véritable poésie urbaine intemporelle. Auprès de lui, les musiciens passent, mais la musique reste, parce que ce qui lui donne souffle et vie, ce sont les textes, et l’auteur poursuit la route à coups de crayon et à coups de gueule en arrière du micro. Les instrumentistes talentueux, à ses côtés, défilent comme ceux de King Crimson autour de Robert Fripp et, comme dans ce groupe, l’âme toujours persiste, car elle est l’identité même de l’expérience en marche. À ce chapitre, on pourrait aussi le rapprocher avec pertinence d’Eric Burdon et ses Animals, New Animals, War, Eric Burdon Band, etc.

L’expérience Aut’Chose terminée, Francoeur était encore Francoeur, le poète encore poète et l’aventure rock encore et toujours ouverte large devant. Alors d’autres disques sont sortis déferlant sur le Québec, mais aussi sur la France (où la compilation d’Aut’Chose Chaud comme un juke box était déjà parue) : Prends une chance avec moé, Une nuit comme une autre et Le cauchemar américain, désormais classiques et légendaires, Francoeur reprend son nom pour signer Épreuve machine, Le retour de Johnny Frisson, Jour et nuit, Dernière vision, Les gitans reviennent toujours, Café Rimbaud, Dans la jungle des villes, Clo la gitane, Avant ailleurs... finalement plus de disques qu’avec Aut’Chose et certains aussi en pressage français!

Francoeur est, sans doute, le poète le plus en vue de sa génération, non seulement au Québec, mais aussi, presque plus, en France. Cela est certes dû au fait que nous avons affaire ici à un touche-à-tout remarquable : en plus de ses livres de poésie et de ses disques qui lui ont valu des prix dans les deux domaines, il a aussi été directeur de collection aux éditions de l’Hexagone, enseignant au niveau collégial, animateur de radio, notamment avec ses émissions à CKOI et COOL, présent à la télévision, avec sa propre émission, Blues à Francoeur, sa participation remarquée à Beau et chaud et, plus tard, avec ses chroniques à MATV et plus récemment son émission hebdomadaire à CNV.CA. On l’a même vu dans des publicités, par exemple pour Burger King et Benny...Tout cela s’avère, bien sûr, pour le moins atypique et exceptionnel pour un poète, d’où l’admiration, l’affection et la reconnaissance d’un vaste public et la jalousie, l’envie et la mesquinerie d’intervenants de divers milieux culturels, particulièrement au Québec.

Si Gaston Miron fut l’un de ses grands défenseurs littéraires au Québec, Bernard Delvaille l’a vite reconnu en le publiant aux prestigieuses éditions Seghers en France où il a pu se lier d’amitié avec les Patrice Delbourg, Marc Villard et Jean-Yves Reuzeau, par exemple. Côté musical, des appuis comme ceux d’Yves Bigot et de 3Jean-Louis Foulquier, pour ne nommer que ceux-là, feront passer Francoeur des ruelles de Montréal aux Champs-Élysées où il côtoiera les Yves Simon, Jacques Higelin, Brigitte Fontaine et autres...

Dans la période Aut’Chose, les membres ont fluctué un peu, la constance des trois premiers albums étant assurée par Lucien Francoeur, évidemment, mais aussi par Pierre-André Gauthier et, surtout, Jacques Racine; pour leur part, Mick Gauthier et Jean-François Saint-Georges ont participé à deux albums chacun. Quant à l’album retour de 2005, Chansons d’épouvante, Lucien Francoeur et Jacques Racine y seront rejoints par les membres vedettes de d’autres groupes phares d’une autre génération : Denis d’Amour et Michel Langevin (Voivod), Vincent Peake (Groovy Aardvark), et Joe Evil (Grimskunk).

L’album-charnière lançant le second volet de l’aventure affiche le nom de Francoeur en gros caractères, mais conserve Aut’Chose comme titre au bas de la couverture. Sur le plan musical, en guise de filet de sûreté, Jean-François Saint-Georges demeure aux claviers parmi les petits nouveaux. Côté contenu, s’affichent de nouvelles couleurs; Serge Gainsbourg et Gene Vincent s’y croisent dans d’inédites versions alors que Marlene, Denise Ibanez et Paris rock’n’roll explorent des facettes moins totalement québécoises que les albums de groupe auquel Francoeur nous avait habitués. Cependant le rockeur garde son verbe, sa verve et sa verdeur tout comme son réseau référentiel de poètes et de chanteurs d’Amérique et d’Europe, même s’il ose davantage puisqu’il se permet de pousser la sérénade à une Lili Marlene imaginaire et parisienne sur la plus chantée des pièces francoeuriennes à ce jour. Côté musique, le souffle nouveau annonce quelques sonorités électroniques et new wave qui feront les années 80. Soulignons enfin l’apport important de Yolande Pieyns à divers niveaux dans cet album et aussi en tant que directrice de tournée. 

Le retour de Johnny Frisson est peut-être l’album de Lucien Francoeur le plus imprégné de ses séjours parisiens. Quelque part entre Antoine et Françoise Hardy, il ajoute l’argot parisien à sa panoplie, sans pourtant jamais trahir ni sa langue ni son genre, contrairement à plusieurs autres Québécois ayant prétendu à une carrière française ou même réussi à la faire; Francoeur reste Francoeur, mais il ajoute des mots et des référents pour mixer encore davantage sa parlure et continuer de jouer avec les citations, les allusions et les détournements. Le pari réussi de mettre Nelligan dans le juke-box n’en est pas un des moindres, car l’univers rock et poétique québécois ne disparait pas; il ne fait qu’accroître son contexte. Et Francoeur s’accepte de plus en plus lui-même comme poète ajoutant au feuillet intérieur une notice bibliographique. Si Jean-François Saint-Georges demeure présent à la composition et aux claviers, il ne figure plus sur toutes les pièces : Francoeur n’est plus un groupe, il y a des nouveaux partout et, parfois, des invités comme Marjo, Francine Raymond ou Geoff Hughes. Ce disque marque aussi l’entrée en scène d’Alan Lord, guitariste, mais 4 aussi poète, qui sera un acteur musical important pour une certaine période ainsi qu’un complice rock indéfectible. C’est d’ailleurs ensemble qu’ils feront la première partie des Ramones en 1980, un événement inoubliable.

Jour et nuit, nouvel album, nouveaux musiciens et quelques collaborateurs, Alan Lord qui revient, puis Charles Foucrault et Claudine Bertrand qui arrivent... Et un super succès inattendu, le Rap-à-Billy, d’après une idée de Foucrault, qui fera le bonheur des stations radiophoniques et des télévisions, comme l’un des premiers vidéo-clips québécois; Francoeur y rompt encore avec tout ce que l’on entendait alors, lui qui, déjà, était plus récitatif que mélodique, fait du rap avant tout le monde. Avec ce disque, on est à la fois en pays connu et il y a toujours du neuf : toujours l’histoire du rock en filigrane, avec peut-être encore plus de nostalgie; toujours un petit côté voyeur, mais une plus grande distanciation face à une nouvelle génération; toujours des ponts entre la littérature et la chanson, mais aussi avec sa propre poésie; une autre version ou perversion, cette fois de Fingerprintz; des traces de Paris encore, mais aussi de sa Californie adorée, et le magnifique poème-hymne à Montréal.

L’album Dernière vision appartient, lui aussi, au cycle bi-continental du poète rockeur, à la fois très québécois et assaisonné parisien. Par exemple, on rencontre un inspecteur Villard, directement inspiré d’un ami poète aussi auteur de romans noirs chez Gallimard, ou un poème de Rimbaud, prenant places parallèles dans la faune et le slang des rues et ruelles de Montréal. Du disque précédent, Pierre Bordeleau (devenu Bordelo) et Richard Dubuck sont de retour parmi d’autres nouveaux et prennent plus d’importance côté composition. Le rap à la Francoeur est aussi de retour comme un écho au succès. Un souci des nouvelles technologies et de leurs conséquences se fait également thématiquement plus présent, tout comme le côté bande dessinée. On notera en outre une vision hawaïenne, un soupçon d’espagnol, une gorgée d’amertume...

Lucien Francoeur et Gerry Boulet se sont longtemps regardés en chiens de faïence, avec un respect pétri de méfiance, mais avec aussi une certaine certitude de fraternité sourde. Longtemps après la fameuse tournée Aut’Chose et Offenbach, la vraie rencontre a enfin lieu entre les deux rockeurs québécois qui se sont maintenant donné la chance et le droit d’être amis. C’est ainsi que, pour Les gitans reviennent toujours, Gerry a pris les choses en mains comme réalisateur de l’album; alors, même si Pierre Bordeleau est resté pour appuyer Francoeur, l’accompagnement prend ici plutôt des allures de l’All Starr Band, façon rock montréalais : Jean Millaire, Breen Leboeuf, Pat Martel, Bob Harrisson et Gerry Boulet, réunis pour servir la poésie de Francoeur dont l’écriture se fait plus dense, plus concise, plus intime pour cette grandiose occasion, plus triste aussi sans doute. Parfois Gerry fait un peu plus chanter Lucien, comme dans l’hymne superbe On achève bien les rockeurs où il est rejoint par une chorale de vedettes à la We are the world dont Dan Bigras, Jacques Blais, Jean Dorais, Marc Hamilton, Pierre Létourneau, Tess, Sylvie Boucher...Également à noter le poème Sur la place publique de Gaston Miron. Un disque de Francoeur, la signature de Gerry, une œuvre de super-groupe!

Café Rimbaud représente une sorte de disque parenthèse, mais un intermède exceptionnel. Suite à un concours de Radio-Canada animé par Jean-François Doré, un texte de Francoeur est choisi pour une expérience extraordinaire, être mis en musique par 5 compositeurs différents d’horizons tout aussi divers : Steve Faulkner, Gerry Boulet, François Cousineau (version chantée par Lina Boudreau), Marie Bernard et Michel Rivard (Francoeur fera sa propre version plus tard après que Gerry en ait fait un succès). Cette aventure représente un véritable atelier de chanson, témoignant merveilleusement de la façon dont la musique peut naître d’un texte, chacun partant d’un détail, de quelques mots ou d’une ambiance que le texte lui suggère. L’émission de radio où chacun expliquait sa démarche demeure également un classique pour quiconque s’intéresse à la création de chansons. Encore une fois Francoeur bénéficie d’un environnement musical digne d’un rêve absolu inespéré.

Le temps d’un album, Dans la jungle des villes, Francoeur renoue soudain avec Pierre-André Gauthier; tous les autres sont, encore une fois, de nouveaux musiciens et l’on entend beaucoup de chœurs, et des cuivres et des cordes et des programmations électroniques. Voici un disque de nostalgie rock et poésie, plein de souvenirs de vie, de livres et de chansons, de lui-même et des autres; les allusions et références littéraires pullulent et le phrasé se fait souvent proche du poème dit même s’il demeure parfois chantonné. Francoeur ajoute au livret une note sur divers auteurs présents et ajoute aux pièces un poème de Verlaine et un autre de Claudine Bertrand dans lesquels d’ailleurs on entend les voix des filles des deux comparses, Virginie Francoeur et Alexie Gauthier. Comme souvent, il y a une version, ici d’une chanson d’Yves Simon, revisitée façon Francoeur. Au fil des plages, il est beaucoup question d’été, d’ennui, de drogues, d’ailleurs et de regret du passé. Et puis, il y a sur ce disque ce qui aurait certes été un immense tube estival si la distribution avait été adéquate, L’été reggae.

Clo la gitane est un disque à part, une lecture de poèmes d’amour de Lucien Francoeur dédiés à sa compagne Claudine Bertrand, avec accompagnement musical dirigé par François Turgeon. On le découvrait inclus dans le livre éponyme paru aux défuntes éditions Trait d’Union qui réunit les 4 recueils consacrés à l’aimée. Ceux qui ne connaissent Francoeur que sur disque peuvent ici entrer dans le volet poésie et ainsi aisément aller vers les livres...

Vromb Francoeur * Avant ailleurs (Poèmes et autres scarifications) propose une toute autre tonalité en 6 tirage limité. Sur fond de musique électro orchestrée par Mario Girard alias Vromb, Lucien récite des poèmes sur un mode tout à fait intime, presque confidentiellement. Il se laisse aussi parfois aller à chanter et l’effet saisissant est celui de quelqu’un que l’on aurait surpris à son insu en l’enregistrant dans sa douche ou devant son miroir. Un disque de proximité, dans l’antre du créateur...

Dans toute cette panoplie d’enregistrements variés, avec une pléiade de musiciens, Lucien Francoeur est toujours demeuré fidèle à la poésie et au rock, à sa langue et à son style, à son univers et à son âme, c’est cela qui en fait un artiste authentique, singulier, unique et indispensable.

- Bernard Pozier

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